Coupe du monde au Qatar : des médias mobilisés ?
« Ne laissez pas le football être entraîné dans chaque bataille idéologique ou politique ». Tel était le message adressé par la Fédération internationale de football (Fifa) aux 32 pays sélectionnés pour la Coupe du monde de football 2022, dans un courrier révélé par la chaîne de télévision anglaise Sky News début novembre.
Depuis plusieurs mois cependant, nombreux ont été les médias à rappeler le bilan humain et environnemental de la compétition, qui se tient cette année au Qatar. Déjà, en février 2021, une enquête du quotidien britannique The Guardian estimait à 6 500 le nombre d’ouvriers morts sur les chantiers du Mondial. Tour d’horizon, aujourd’hui, des médias qui se sont penchés sur l’impact environnemental de la Coupe du monde 2022 au Qatar.
La fausse promesse d’un Mondial 2022 neutre en carbone
Création de son propre registre de compensation carbone, construction démesurée de stades, impossibilité de se loger sur place pour les supporters… Dans une enquête vidéo, Le Monde révèle « ce que cachent les promesses écolo du Qatar ». En s'appuyant sur le rapport de l’ONG Carbon Market Watch, les journalistes Anna Moreau et Rémi Dupré déconstruisent l’engagement des organisateurs d’en faire la première Coupe du monde « neutre en carbone ».
Correspondante « Environnement » pour le Time, Aryn Baker s’est, elle, penchée sur le lien entre changement climatique et précarité du travail au Qatar. La journaliste américaine nous conduit dans le village de Nagrain, au Népal, où une mousson imprévisible a en partie conduit « plus de la moitié des hommes du village à partir travailler à l'étranger, principalement au Qatar ». En vue notamment : la construction des stades du Mondial 2022. « Le changement climatique [...] rend aussi le travail plus dangereux, en particulier dans le Golfe, où les températures augmentent deux fois plus vite que sur le reste de la planète », appuie la journaliste.
Boycott de la BBC
Dimanche 20 novembre, à l’heure du coup d’envoi de la compétition, quelques médias ont également pris le parti d’offrir un autre point de vue sur le Mondial. À commencer par la BBC. La chaîne de télévision britannique a fait le choix de diffuser uniquement l’ouverture de la compétition sur son site Internet. À la place, sur BBC 1 : une émission dédiée aux controverses du Mondial.
« Les téléspectateurs de la BBC venaient d’assister à quelque chose d’inhabituel : une chaîne de télévision ayant les droits de retransmettre le plus grand événement sportif du monde choisissait de le mettre à la poubelle », racontait quelques heures plus tard The Guardian. En France, le journal Libération s’est notamment démarqué en couvrant un match de foot satirique tenu par des militants écologistes à Paris, à l’heure où s’ouvrait la compétition au Qatar.
Depuis, les regards critiques ont pour beaucoup laissé place aux paris et aux matchs. Sur ses réseaux sociaux, le collectif Quota Climat tentait d’alerter mercredi 23 novembre : « Il est impératif de rappeler le contexte ».

Un rappel bienvenu alors que les grandes compétitions sportives représentent des « bombes climatiques », selon Reporterre. Dans une enquête en deux volets publiée le 18 novembre, le média dédié à l’écologie esquissait quelques solutions : synchroniser les compétitions féminines et masculines, alléger les calendriers ou encore privilégier les spectateurs locaux.
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Pour suivre le Mondial, L'Équipe lance son Live Activities
C'est une première pour un média français. L'Équipe (voir l'interview de son directeur de la rédaction Jérôme Cazadieu juste en-dessous) offre désormais la possibilité à ses utilisateurs de suivre les matchs de la Coupe du monde depuis l'écran verrouillé de leur iPhone, via la fonctionnalité « Live Activities ». Pour y accéder, il faudra disposer de la mise à jour 16.1 d'IOS. Selon Sport TV, les abonnés de L'Équipe pourront suivre en direct plusieurs matchs à la fois depuis leur iPhone. « Uniquement sur les matchs de la Coupe du monde éligibles à la fonction d'alerte classique de l'application L'Équipe », prévient le média.
Un podcast sur-mesure pour les boycotteurs
« Qatar boycott podcast » : voilà le nom d'une émission à destination des boycotteurs de la Coupe du monde. Animée par Mourad Aerts et Nicolas Georges, la série évoque les interrogations de ces deux passionnés du ballon rond qui refusent pourtant de cautionner le Mondial 2022. La série, en quatre épisodes, est déjà disponible sur toutes les plateformes d’écoute.
Appel au respect de la liberté de la presse
Dans son dernier rapport, Reporters sans frontières appelle le Qatar à respecter la liberté de la presse. L’organisation plaide pour que le Qatar n’entache pas cette liberté fondamentale. « Après avoir bafoué les droits humains lors de la construction des stades, le Qatar ne doit pas entacher la Coupe du monde en restreignant la liberté de la presse », reprend le journal Challenges dans ses colonnes.
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« Nous n'avons jamais été uniquement "football et terrain" à L’Équipe »
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L’Équipe couvre la Coupe du monde tous les quatre ans, qu’a-t-elle de particulier cette année ?
Le contexte est forcément particulier et cette Coupe du monde inédite. L’attribution du Mondial est entachée de soupçons de corruption avec une potentielle implication de la France. L’extra-sportif n’a jamais été autant mis en avant pour un événement sportif.
Avez-vous donné des conseils particuliers à vos journalistes pour couvrir l’événement ?
Un seul mot d’ordre : être journalistes. Nous leur avons dit de faire leur métier tout simplement. Depuis l’attribution, nous avons fortement documenté ce qu’il se passe au Qatar notamment à propos des droits humains. Les travailleurs immigrés et la construction des stades ont fait l’objet d’articles de la part de nos journalistes. L’Équipe s’est également soucié de la situation des supporters. Un de nos reporters s’est par exemple intéressé aux logements dans des hôtels à 200 € la nuit ou des « tentes de bédouins » à 50 € avec des conditions sanitaires à revoir.
Nous voulons également parler de sport car c’est le cœur de la compétition. Il ne faut pas que le sport soit le seul à porter tous les maux du Qatar.
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« Nous avons principalement concentré nos efforts sur le numérique »
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Cette Coupe du monde sera-t-elle un tournant dans le traitement des grands événements sportifs ?
Pas du tout, nous n'avons jamais été uniquement «football et terrain» à L’Équipe. Lors des JO d’hiver de 2022 en Chine, nous avions déjà abordé l’aberration écologique. Je vous rappelle également que nous nous sommes engagés à propos de Peng Shuai. La tenniswoman avait disparu plusieurs mois après avoir révélé avoir été violée par un haut dignitaire chinois. Nous avons tout fait pour avoir Peng Shuai en interview pendant les Jeux et nous avons réussi. Cela nous a permis de montrer dans quel état d’enfermement elle se trouvait.
La Russie a également fait l’objet d’enquêtes plus poussées de la part de notre rédaction. Avant les Jeux de Sotchi en 2014 et la Coupe du Monde de 2018, nous nous sommes intéressés à la situation politique et au dopage. Nous avons permis l’amplification de l’affaire Rodchenkov (NDLR : du nom de l’ancien directeur de la lutte antidopage à Sotchi et qui a révélé un dopage d’État). Cette situation atteint des sommets avec la Coupe du monde 2022 au Qatar. Les prochaines éditions pourraient aussi être problématiques.
Les médias et pays occidentaux seront-ils aussi virulents dans quatre ans aux États-Unis quand il faudra aller dans des États où la peine de mort est encore en vigueur et où l’avortement est illégal ?
Comment mettez-vous à profit vos différents supports pendant un tel événement ?
Nous appliquons notre stratégie habituelle avec les trois supports multimédias dont nous disposons. La fusion de notre rédaction entre print et web nous permet d’enrichir tous nos contenus. Le temps réel se trouve sur le numérique avec le direct et des rebonds d’articles en fonction de l’actualité. Le temps « deux » se trouve sur la chaîne avec nos trois émissions par jour (NDLR : L’Équipe Foot en fin de matinée, L’Équipe de Greg dans l’après-midi et L’Équipe du Soir). Toutes ces émissions donnent une part importante à l’analyse et au débat. Cela permet de fidéliser le téléspectateur.
Le temps « trois » est le journal avec de l’analyse en profondeur. Nous proposons des articles de fond et des prises de position de la part de la rédaction. Le journal nous permet de montrer nos engagements avec des éditos sur l’interdiction du port du brassard «One Love» par exemple.
La Coupe du monde permet-elle la mise en place de plus de contenus exclusifs et de nouveautés ?
C’est effectivement le cas. Vous avez une rubrique intitulée « Doha au but » avec une croissance de 40 % des articles rédigés par la rédaction sur le football et la Coupe du monde. Nous avons pris un rythme régulier à proposer aux lecteurs. Pour assurer une présence multisupports, nous avons réalisé une série de cinq podcasts sur les grands matchs de l’équipe de France en Coupe du monde. L’objectif était de s’intéresser à ces moments mythiques et de les démonter ou non. Notre nombre important de journalistes sur place nous permet aussi d’avoir une présence sur les réseaux sociaux en continu. Un reporter de L’Équipe a capté la vidéo de Benzema qui sort du centre médical où il a passé son IRM. Cette vidéo a beaucoup circulé sur les plateformes. Nous avons principalement concentré nos efforts sur le numérique.
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Les petits cadeaux du Qatar à Telemundo et Fox
- Un sponsor de taille : Fox et Telemundo (diffuseurs en langues anglaises et espagnoles) de la Coupe du monde auraient bénéficié des largesses du Qatar. Les techniciens de ces chaînes voyageront gratuitement avec la compagnie Qatar Airways. Ce geste du pays hôte vise à faciliter la couverture médiatique de la compétition. Ayant annoncé une équipe technique réduite pour cet évènement, la Fox a fait volte-face en annonçant un contingent de 150 personnes envoyées sur place. Selon le Washington Post, le pays hôte espère profiter du réseau médiatique américain pour promouvoir sa culture. Le quotidien aborde la satisfaction des dirigeants de la Fox d’offrir une large diffusion à ses téléspectateurs sans avoir besoin de dépenser énormément d'argent.
- Auto-censure : Pour ne pas froisser leur partenaire, les deux groupes nord-américains abordent du bout des lèvres les manquements aux droits de l’homme de l’Émirat. Les nombreuses interdictions liberticides au cours du tournoi ne sont pas traitées de la même manière. La prohibition de l’alcool dans les stades n’a pas été abordée par la Fox. Telemundo, lui, a fait un article sur le sujet dans le dernier onglet de son site Internet. Une position que défend le président du groupe Telemundo. Pour Ray Warren, il faut penser à l’héritage laissé aux générations futures après cette Coupe du monde. Il ne faut pas ignorer les enjeux politiques et les atteintes aux droits de l’Homme, même en l'évoquant discrètement.
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Les influenceurs, ambassadeurs de la Coupe du monde
Être payé pour vendre du rêve est monnaie courante chez les influenceurs. Souvent pour des marques. Plus exceptionnellement pour des pays. C'est pourtant ce qu'il s'est passé cette année avec le Qatar à l'occasion de «sa» Coupe du monde.
Des journaux ont également accusé le Qatar d’avoir payé des supporters pour animer les rues de Doha. En cause : des scènes de joie notamment publiées sur le compte TikTok @aadhilnaleer, spécialisé dans les vidéos de tourisme au Qatar.
Les Marseillais au Qatar
Le Qatar entend se donner l’image d’un pays où l’attrait pour le football est en pleine expansion. Reste que le prix des billets est bien plus élevé que d’ordinaire pour une Coupe du monde (sans parler de celui de la bière...). Le public ciblé est clairement différent. Fabian Tosolini, supporters des Irrésistibles Français, interrogé par 20 minutes, a dénoncé : « C’est un Mondial de riches, d’influenceurs de Tik-Tok et d’Instagram ». Les Marseillais, Jessica Thivenin, Thibault Garcia, Paga, Vincent Queijo et même Kevin Guedj, ont mis en scène leurs retrouvailles lors du match France/Australie. D’après plusieurs médias, comme Mayamo TV, les organisateurs de la Coupe du monde les auraient invité aux frais de la princesse locale.
Le célèbre influenceur Bastos aurait également été approché par le Qatar. L’offre lui proposait, selon le blogueur Navid Cherche, une visite du pays pour 6 jours, tous frais payés, en échange de stories sur Instagram. Pour certains influenceurs, comme le Sénégalais Jaaw Ketchup, ces contrats avec le Qatar est une manière d' « aller chercher d’autres publics venus de différents pays ». Quitte à taire les zones d’ombre qui entachent la compétition.
Du contenu pour des comptes qataris
À commencer par le célèbre tiktokeur Khaby Lame. Comptant plus de 150 millions de followers, il est la star la plus suivie sur la plateforme d'origine chinoise. Le temps de la Coupe du monde, il a été promu ambassadeur officiel de l’une des plus grandes institutions financières qatarie au Moyen-Orient. « J'ai hâte d'explorer le tournoi à travers l'objectif de QNB et de créer des souvenirs inoubliables », a déclaré le tiktokeur.
Khaby Lame a également réalisé plusieurs vidéos diffusées sur le compte Instagram @qatarliving, le support de communication détenu par la famille royale qatarie. Ce canal est utilisé par le pays pour faire la promotion de sa Coupe du monde. On peut y voir d’autres influenceurs faire la fête aux côtés d’ouvriers, fiers de montrer leur gilet jaune. Comme pour faire oublier les 6 500 ouvriers morts estimés sur les chantiers pour construire les stades et les infrastructures dédiées à la compétition. Les influenceurs qui figurent dans les vidéos de @qatarliving ne reprennent quasiment jamais le contenu sur leur compte officiel.
À l’inverse, des comptes comme @Paint, sur Instagram, se font tous les jours le relais en stories de la politique du Qatar à l’encontre des minorités. Comme le fait d'interdire tout objet aux couleurs du drapeau arc-en-ciel par exemple. Aux influenceurs de choisir leur camp !
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